Code du patrimoine vs. code des relations entre les administrations et le public : quel positionnement pour les archives publiques ?

Le gouvernement a déposé le 2 mai au bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi d’habilitation à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.

Ce projet, s’il est adopté par le Parlement, habiliterait le gouvernement à procéder à l’adoption par ordonnance du code relatif aux relations entre les administrations et le public annoncé dans le relevé de décisions du CIMAP du 18 décembre dernier.

Comme l’indique le projet de loi, ce code « regroupe et organise les règles générales relatives aux procédures administratives non contentieuses régissant les relations entre le public et les administrations de l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes chargés d’une mission de service public. Il détermine celles de ces règles qui sont en outre applicables aux relations entre ces administrations et leurs agents. Il rassemble également les règles générales relatives aux régimes des actes pris par ces administrations ». Le gouvernement aurait la possibilité d’adapter ces règles : simplification des démarches ; unification des règles ; renforcement de la participation du public à l’élaboration des actes ; adaptation aux évolutions technologiques (et notamment la possibilité de saisir l’administration par messagerie électronique, objet de l’article 1 du projet de loi) ; abrogation des dispositions sans objet et harmonisation de l’état du droit.

L’exposé des motifs et l’étude d’impact précisent qu’il s’agit de codifier les principales dispositions des grandes lois relatives aux droits des administrés, et notamment les grandes lois de 1978, 1979 et 2000, donc la loi CADA et la loi DCRA.

Une loi est cependant oubliée dans l’exposé des motifs : la loi sur les archives de 1979 modifiée en 2008, codifiée dans le livre II du code du patrimoine.

Or, contrairement aux apparences, la loi archives contient de nombreuses dispositions intervenant dans les relations entre l’administration et les citoyens, dans la mesure où elle entend gérer l’information dès sa création et tout au long de sa vie :

  • en obligeant les personnes chargées d’une mission de service public à mettre en place une véritable gestion de leur information et donc des documents et données issus des échanges entre les citoyens entendus au sens large et ces personnes ;

  • en fixant les délais de libre communicabilité des documents et données détenus par l’administration et en définissant une procédure d’accès par dérogation aux documents non librement communicables.

L’articulation entre la loi archives et la loi CADA de 1978 constitue d’ailleurs un vrai serpent de mer législatif qui resurgit à chaque modification de l’une ou l’autre loi. A ce jour, le livre II du code du patrimoine cite de manière explicite et à 2 reprises la loi CADA, tandis que la loi CADA précise que les documents non librement communicables en vertu des dispositions qu’elle édicte le sont en application des dispositions du code du patrimoine … La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est d’ailleurs compétente pour traiter de l’application des deux lois. Autant d’arguments qui militent pour un rapprochement au sein d’un même code, par souci de simplification, des deux textes.

Intégrer les dispositions de la loi archives dans le code de l’administration aurait ainsi plusieurs avantages :

  • remettre la valeur primaire des archives au cœur de leur réglementation, en l’adaptant aux évolutions technologiques et, peut être, en renforçant les obligations des personnes chargées d’une mission de service public ;

  • simplifier le vocabulaire juridique trop touffu en la matière entre archives, documents, données, documents administratifs, information publique et données publiques ;

  • réaffirmer que la libre communicabilité s’applique à toutes les archives, qu’elles soient détenues par la personne chargée de mission de service public qui les a produites ou reçues ou par un service d’archives ;

  • harmoniser les procédures de demandes d’accès aux documents administratifs et de demande d’accès par dérogation, en simplifiant cette dernière pour les documents et données encore détenues par les personnes chargées de mission de service public ;

  • éviter les difficultés d’articulation entre la loi CADA et le code du patrimoine par l’intégration au sein d’un même texte de l’ensemble des règles ayant trait à l’accès et à la réutilisation des informations publiques, qu’elles soient détenues par les personnes chargées d’une mission de service public ou par un service d’archives public.

La France disposerait ainsi d’un véritable équivalent au Freedom of Information Act britannique, cette « grande loi d’accès aux données publiques » que le sénateur René Garrec appelait de ses vœux dans son rapport préalable au vote de la loi de 2008.

Quel meilleur signal le gouvernement pourrait-il donner de sa volonté de garantir la transparence administrative, dans le respect des secrets protégés par la loi ?

ARM

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un commentaire le “Code du patrimoine vs. code des relations entre les administrations et le public : quel positionnement pour les archives publiques ?”

  1. Anonyme 16 Mai 2013 à 20:04 #

    bonjour à tous,
    merci de ce très intéressant article, et de tous les possibles qu’il laisse entrevoir.

    La lecture du projet de loi d’habilitation mentionné ci-dessus souligne la pertinence des questions posées. Les services d’archives publiques, chargés d’une mission de service public, sont nécessairement concernés par un projet de loi touchant aux relations entre l’administration et les citoyens. Des exemples ?
    – les circulaires émises par le SIAF sont diffusées sur le site officiel du Premier ministre, parce que les préconisations en matière de tri, de sélection, d’accès, concernent les citoyens et les possibilités / modalités d’accès aux documents ;
    – les demandes de dérogation au régime de communication actuellement défini par le code du patrimoine, leurs délais et modalités de traitement touchent directement le citoyen ; le non respect du délai de 2 mois fixé par l’art. L. 213-3 constitue un refus implicite et légitime la saisine de la Cada par le demandeur ;
    – les recherches administratives, de plus en plus nombreuses, dont les services d’archives sont saisis, sont faites au profit de citoyens, qui comprennent mal que les règles d’accès soient modifiées par rapport à celles qu’ils connaissent (subissent ?) dans d’autres administrations.

    L’art. 1 du projet de loi justifierait ainsi que, par exemple, les demandeurs soient informés par voie électronique de l’avancement d’une demande de dérogation transmise depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois (…!) à un service versant qui tarde à répondre.
    Certes, nous répondons déjà plus ou moins par mèl ou par tél. en ce sens, mais la réponse électronique ainsi officialisée, avec copie à la PRADA [personne responsable de l’accès aux documents administratifs] du service concerné pourrait peut-être constituer un levier plus actif…
    Le délai même de 2 mois imposé par le code du patrimoine pour le traitement des demandes de dérogation est le délai ordinaire de traitement des demandes administratives. Le législateur, en 2008, a souhaité un rapprochement entre le monde « administratif » et le monde « des archives ». On a vu les effets induits par le 2e alinéa de l’art. L. 213-1 du code du patrimoine, qui étend aux archives publiques le régime d’accès aux documents administratifs. Continuer à distinguer un code du patrimoine pour l’accès aux archives publiques et un code de l’administration pour tous les autres accès (administratifs), alors mêmes que les modalités sont les mêmes, revient à se maintenir dans la position de grand écart dans laquelle les archivistes ont été mis par la loi de 2008. Et nous avons pu en mesurer l’inconfort…

    L’art. 2 du projet de loi, 2e alinéa, s’appliquerait de plein droit aux missions de contrôle scientifique et technique (visas d’élimination), collecte, demandes de dérogation, puisqu’il délimite le domaine d’application du dit code :
    – regrouper et organiser les règles générales relatives aux procédures administratives non contentieuses des collectivités publiques, établissements publics et organismes chargés de missions de service public ;
    – déterminer celles de ces règles applicables aux relations entre ces administrations et leurs agents ;
    – rassembler les règles générales relatives au régime des actes pris par ces administrations.
    Comment un service d’archives public pourrait-il se considérer hors de ce champ d’application, dès lors que tous les courriers, bordereaux de demandes d’élimination, bordereaux de versement d’archives, etc. constituent autant d’actes administratifs, pour lesquels les directeurs reçoivent délégation de signature de leur(s) tutelle(s), par laquelle ils engagent leur responsabilité et celle de la collectivité (établissement, organisme) qui les emploie ? Alors même que leurs fonds sont constitués en majeure partie d’actes administratifs publics qui constituent leur raison d’être, la raison de leur existence, leur matière de travail au quotidien ?
    La même remarque pourrait s’appliquer au reste de cet article du projet de loi.

    On complètera utilement la lecture de l’exposé des motifs et du projet de loi lui-même par l’étude d’impact qui l’accompagne.
    Il faut être conscient que ce projet de loi vise la gestion de l’information, sous quelque forme qu’elle soit, où qu’elle soit, quelle qu’en soit l’ancienneté (l’âge).
    L’art. L. 211-1 du code du patrimoine, en définissant les archives comme une notion qui transcende le temps, l’espace, l’apparence (format, support), impose de reconsidérer celles-ci autrement (archives publiques s’entend). La notion même de « patrimoine » contient en soi un renvoi implicite à l’ancien, au passé, à un héritage reçu (en anglais, le patrimoine se dit « heritage »). Comment ancrer les archives et les procédures d’archivage dans le temps présent, réel, comment faire valoir des stratégies d’archivage dans les services publics, si l’on continue à considérer que l’information publique relève de plusieurs codes successifs selon sa nature, sa localisation, sa forme, son contenu ? tous les acteurs de la collecte sont confrontés en permanence à cette difficulté.

    Saisissons cette opportunité de nous simplifier la vie et celle de nos concitoyens, par l’harmonisation des législations.

    Pour conclure, je souhaiterais rapporter ici une anecdote : mardi matin, sur France Culture, à 7h45, le chroniqueur Ph. Manière ironisait sur un rapport produit par un des grands corps d’inspecteurs de l’Etat dont la non diffusion était proclamée à l’avance -traduire : enterrement et non exploitation immédiats. Le dit chroniqueur informait les auditeurs qu’il entendait saisir la Cada pour accéder au dit rapport.
    Ce rapport est un document administratif (DA) ; c’est aussi un document d’archives publiques, puisque les DA constituent une partie de l’ensemble « archives publiques ». A supposer que le rapport soit couvert par un des secrets que la loi entend protéger, il sera déclaré non communicable en vertu de l’art. 6 de la loi de 1978.
    A supposer maintenant que le dit rapport ait (déjà !) été versé dans un service d’archives public au moment où le chroniqueur fait sa demande d’accès : il sera tenu de remplir un formulaire de demande de dérogation et de suivre une procédure distincte pour (tenter d’)y accéder.
    C’est pourtant bien toujours le même rapport… Cherchez l’erreur !

    bonne soirée à tous.
    Ilyena.

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